Le Bréviaire de Grammont

Le Bréviaire de Saint-Adrien de Grammont, aujourd’hui conservé à l’abbaye de Maredsous, a vu le jour vers 1450, alors que le comté de Flandre était aux mains de Philippe le Bon, duc de Bourgogne. Sous son règne, les Pays-Bas méridionaux connaissent un essor artistique sans précédent. Dans le sillage de peintres tels que Jan van Eyck ou Rogier van der Weyden, des scribes et des miniaturistes de talent unissent leurs compétences pour réaliser des manuscrits de très haute tenue.

C’est dans ce contexte stimulant qu’est élaboré l’imposant Bréviaire de Grammont : quatre splendides volumes totalisant plus de mille sept cents pages, qui mobilisent pendant deux années un copiste, des décorateurs et plusieurs peintres. Précieux témoin de la spiritualité des moines grammontois, ce manuscrit sur parchemin a bravé plus de cinq cents ans d’histoire, parvenant jusqu’à nous dans un remarquable état de conservation. Ses reliures et ses pages montrent certes des traces d’usure, mais ses peintures, protégées de la lumière, ont conservé la fraîcheur et les couleurs éclatantes qu’elles possédaient au jour de leur création.

Au-delà de la qualité de son exécution, le Bréviaire de Grammont est aussi une œuvre-clé pour la connaissance de l’enluminure flamande du milieu du XVe siècle.

À une époque où l’anonymat était la règle, le scribe n’a pas hésité à signer son œuvre. Il a même daté les étapes de son travail, ce qui nous permet d’observer, volume après volume, la progression d’un chantier aux multiples intervenants. Au moins cinq enlumineurs se sont relayés pour décorer et illustrer le manuscrit. Tous étaient issus du même milieu artistique, que nous proposons de situer à Gand.

Main A du Bréviaire de Grammont, Pentecôte, détail de la marge

(ms. F°/3/2, fol. 114r)

Rarement montré au public, le Bréviaire de Grammont n’avait fait l’objet, jusqu’à présent, que de publications scientifiques éparses, difficilement accessibles.

Il méritait assurément une plus grande visibilité. Aussi ce site web que vous tenez entre les mains entend-il offrir, à tous ceux qui apprécient l’art du Moyen Âge, une nouvelle étude sur un témoin majeur de l’enluminure flamande. Illustré de nombreuses reproductions en couleurs, il présente les résultats les plus récents de la recherche : l’histoire complexe du manuscrit, l’apport singulier de ses différents enlumineurs, la richesse de son iconographie, ainsi que les secrets de sa technique, révélés par l’analyse scientifique des encres et pigments utilisés par le scribe et les enlumineurs.

Ce site est aussi le couronnement d’un projet de recherche et de valorisation mené entre 2018 et 2021 avec le soutien financier de la Fondation Roi Baudouin et du Fonds Baillet Latour. Au cours de ces trois années, le manuscrit a été confié à l’Université de Louvain (KU Leuven) et à l’Institut royal du Patrimoine artistique (IRPA) pour être étudié et faire l’objet d’un traitement de conservation. Les quatre volumes ont été entièrement numérisés, ce qui permettra à toute personne intéressée de feuilleter virtuellement le manuscrit étonnant que nous vous convions à découvrir dans les pages qui suivent.

Dom Bernard Lorent, abbé de Maredsous

Dominique Vanwijnsberghe et Lieve Watteeuw

La liturgie

Un bréviaire est un ouvrage qui rassemble tous les documents utilisés pour la prière des heures (appelée aussi « office divin » par la règle de saint Benoît). Les sept temps de prière (matines, laudes, prime, tierce, sexte, none, vêpres) comportent des psaumes (avec leurs antiennes), des hymnes, des lectures bibliques ou patristiques, des répons, des oraisons et des litanies. Ces supports de prière sont complétés par des calendriers liturgiques.

Les deux premiers volumes du Bréviaire de Grammont comportent les offices de la période hivernale, de l’Avent à la Pentecôte, tandis que les deux derniers comportent ceux de la période estivale (du lendemain de la Pentecôte à l’Avent).

À une époque où l’imprimerie n’existait pas encore, ce type de livre manuscrit était posé sur un lutrin devant ceux qui priaient, et pouvait être lu (avec des caractères au dessin suffisamment grand) par deux ou trois personnes à la fois. On comprendra que s’il en fallait pour tout un chœur de moines (ou de moniales), tous les exemplaires ne pouvaient être aussi richement décorés que notre Bréviaire ! Ce dernier était probablement réservé à l’abbé ou aux hôtes illustres de passage comme le duc de Bourgogne, Philippe le Bon, qui vint à Grammont en 1423, puis en 1441.

Calendrier du mois de mars avec la mention de l’élévation des reliques de saint Adrien ('elevatio beati Adriani martyris'), le 4 mars

(ms. F°/3/3, fol. 20r)

Les calendriers des fêtes du manuscrit constituent une excellente source de renseignements pour la localisation (et éventuellement la datation) d’ouvrages de ce type. Par exemple, la présence d’une solennité en l’honneur de saint Adrien de Grammont et de sa femme sainte Nathalie situent géographiquement et avec précision ce manuscrit. Quant à certaines fêtes (Saint-Joseph, la Transfiguration, par exemple), elles permettent de situer son utilisation dans le temps.

En définitive, il s’agit bien d’un bréviaire comportant l’office divin tel que décrit dans la règle de saint Benoît (chapitres 8 à 20) et tel que pratiqué dans les monastères bénédictins depuis le Ve siècle.

R. Ferdinand Poswick

Bibliographie

L.M.J. Delaissé, ‘Les techniques du livre dans le bréviaire bénédictin de Grammont’, dans Scriptorium, 12, 1958, pp. 104–7.

 

T. Delforge, ‘Le bréviaire de Saint-Adrien de Grammont’, dans Scriptorium, 12, 1958, pp. 102–4.

 

V. Leroquais, Les Bréviaires manuscrits des bibliothèques de France, 1, Paris, 1934, pp. i-cxxxiii.

 

J.H. Marrow, ‘The Master of Gerard Brilis’, in Maria Hofmann et Caroline Zöhl (red.), Quand la peinture était dans les livres. Mélanges en l’honneur de François Avril, Turnhout-Paris, 2007, pp. 168–91 (pp. 170–2, 185–6 n. 6–12).

 

R.-F. Poswick, ‘Le bréviaire bénédictin de Grammont (Geraardsbergen)’, dans Le livre et l’estampe, 43, 1997, no. 148, pp. 21–112.

 

M. Smeyers, ‘Bijzondere randversieringen in een 15de-eeuws brevier’, dans Spiegel Historiael, 4, 1969, pp. 72–8.

 

A.H. van Buren, S. Edmunds, ‘Playing Cards and Manuscripts: Some Widely Disseminated Fifteenth-century Model Sheets’, dans The Art Bulletin, 56, 1974, pp. 12–30 (en particulier pp. 18, 20, 23, 26, 27 n. 14, 28 n. 16, 29 et n. 24).

 

D. Vanwijnsberghe, ‘En parcourant les pages du Bréviaire de Grammont. Une petite balade iconographique’, dans Revue bénédictine [Mélanges Daniel Misonne], 131, 2021, p. 91-115.

 

D. Vanwijnsberghe, 'En parcourant les pages du Bréviaire de Grammont II: Une petite balade stylistique', dans Revue bénédictine, 132, 2022, p. 219-240.

 

D. Vanwijnsberghe, E. Verroken, ‘A l’Escu de France’. Guillebert de Mets et la peinture de livres à Gand à l’époque de Jan van Eyck (1410–1450) (Scientia artis, 13), Bruxelles, 2017, pp. 252, 415 n. 67, 415 n. 68, 419–27, 429, 433, 434, 437, 479 n. 25.